De la frontière nationale à la frontière sociale (mercredi, 07 avril 2010)

Dans le Genevois franco suisse la frontière historiquement séparait les habitants français des habitants helvétiques. Cette réalité est de moins en moins correcte. D'une part parce qu'il y a maintenant plusieurs dizaines de milliers de citoyens suisses installés dans le Genevois français, d'autre part il y a environ 40 000 citoyens français installés dans le canton de Genève, mais aussi parce que la proportion de bi-nationaux ne peut qu'augmenter : la binationalité s'acquiert à chaque génération et se perd peu. Elle s'acquiert par les mariages mixtes mais aussi de plus en plus par l'installation pendant 10 ans de l'autre côté de la frontière. Il y a déjà 15% de binationaux dans notre agglomération. Ils seront majoritaires dans deux ou trois générations. La frontière sépare de moins en moins les habitants français des habitants suisses du Genevois.

Elle risque bien en revanche de séparer bientôt ceux qui ont les moyens d'échapper à l'enfer des transports de ceux qui n'en ont pas les moyens. La crise de la mobilité s'aggrave chaque jour. Chaque jour, les files de voitures atteignent des routes de campagne jusque là épargnées. Les obstacles imaginés par les communes pour éviter le traffic de transit sont aussi dérisoires que des digues au milieu de la mer. Les lève-tôt et les lève-tard n'échappent plus aux engorgements des transports.

Cette crise de la mobilité qui s'aggrave va limiter le bassin d'emploi de Genève. Le nombre de travailleurs qualifiés qui sont insallés à 35 minutes du canton se reduit de manière exponentielle à mesure que les engorgements s'aggravent. Cela va commencer à poser de sérieux problèmes de recrutement pour les entreprises genevoises. Dans le Genevois français les chefs d'entreprises ont constaté la fin de l'hémoragie de leurs salariés vers Genève. Ces derniers préfèrent rentrer dans leur région d'origine lorsqu'ils prennent conscience du coût de la vie et qu'ils constatent que le pouvoir d'achat des salaires genevois ne vaut pas le sacrifice de tels temps de transport.

Cela a une seconde conséquence : la ségrégation sociale par le temps de transport. Comme dans de nombreuses villes, les plus aisés achetaient des maisons au vert. C'est ainsi par exemple que dans le Genevois français on constate encore que les Genevois sont beaucoup plus nombreux à acheter des maisons que des appartements.

Au rythme actuel auquel Genève fait venir des salariés et les installent loin des réseaux de transport, dans 5 ans ce sont environ 15 000 voitures supplémentaires qui encombreront les routes du Genevois franco suisse. Avec 15 000 voitures supplémentaires en 2015, l'enfer actuel de la circulation ressemblera au doux paradis des cartes postales en sépia.

Au fur et à mesure que les engorgements s'aggravent le phénomène inverse commence à se produire : les plus fortunés échappent à l'enfer des transports et s'installent au centre ville, à proximité ou juste à côté des transports rapides (CEVA demain). Ils économisent ainsi jusqu'à une heure par jour. Ce faisant ils aggravent la crise du logement au centre de l'agglomération et contraignent les ménages les plus modestes et les jeunes à quitter le centre et subir des temps de transport toujours plus importants. Ce retour vers le centre ville a déjà commencé selon le bilan de l'observatoire statistique transfrontalier. En nombre, il ne compense pas le flux inverse.. et ne le fera jamais faute de nouveaux logements au coeur de l'agglomération.

Si les incohérences entre la politique économique et la politique du logement à Genève se poursuivent, elles aggraveront les problèmes de mobilité et conduiront à faire de la frontière une frontière sociale. Cette ségrégation sociale s'observent dans de nombreuses grandes villes dont les jeunes ménages ont déserté le centre ville.

Ces dérives peuvent être stoppées par une politique économique plus durable qui maitrise la croissance démographique et permette de l'accompagner des infrastructures nécessaires au maintien de la qualité de vie de tous. Il suffit pour celà de mettre un terme à l'incohérence entre la politique économique qui fait venir 10 000 personnes par an et la politique du logement qui n'a permis la construction que de 1230 logements en 2009.

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