Fathi Derder et l'amitié franco-suisse (lundi, 22 juillet 2013)

Le 29 avril une délégation de sénateurs du groupe d'amitié franco-suisse était en visite à Berne à la rencontre d'une délégation de conseillers nationaux. A peine quelques jours plus tard, Fathi Derder (conseiller national PLR du canton de Vaud) publie son point de vue sur cette rencontre (à lire ici). Un point de vue assez amusant qui en dit long sur les malentendus franco-suisse. Loin de la caricature qui y est faite d'une France arrogante incapable de se remettre en cause, le point de vue de Fathi Derder a beaucoup circulé en France sur les réseaux sociaux et par mail : on aime toujours ces points de vue extérieurs. Bien sûr le texte à circulé en partie à l'initiative de militants UMP pour décrier un gouvernement PS.. ignorant que la délégation était composée de sénateurs de tous les groupes politiques.

Le texte a sans doute fait pas mal de pub pour Fathi Derder, je ne suis pas sûr qu'il soit de nature à améliorer l'efficacité du travail des groupes d'amitié franco-suisse dans les mois et années qui viennent.

La polémique a sans doute incité quelques participants à diffuser le compte rendu intégral des discussions. Il n'y a bien sûr pas de références au déjeuner, mais la séance est retranscrite en intégralité.

Lorsque Fahti Derder écrit :

"Quelques minutes plus tard, en séance, un sénateur nous "explique" que nous ne comprenons pas la France. Et sa fiscalité. Il faut savoir que, pour un élu français en tournée en province, si on n'est pas d'accord, c'est qu'on ne l'a pas compris. Alors il réexplique, plus lentement. Il articule. C'est inintéressant, mais joli à entendre."

Voilà l'intervention du sénateur français qui suit le repas :

"...Récemment un institut de sondage a mené une enquête auprès des citoyens français, leur demandant s'il était légal d'avoir un compte bancaire en Suisse. La majorité pense que non ! Ainsi, il est important d'insister sur le fait qu'il est tout à fait légal d'avoir un compte bancaire en Suisse du moment qu'il est déclaré. Par ailleurs, il me semble que nous ne consacrons pas assez de temps à expliquer la réalité des relations franco-suisse dans les médias. Je vous encourage à participer à des émissions de télévision ou à des articles de presse sur ce sujet dans le pays partenaire. En effet, l'essentiel des polémiques provient du manque d'informations ou d'informations faussées..."

Franchement, le texte de Fathi Derder a sans doute fait beaucoup rire ou pleurer, mais, moi qui ne partage que très rarement les points de vue de Pierre Hérisson (UMP) sur ce coup là, je trouve qu'il a plutôt raison. Il exprime un point de vue de méconnaissance réciproque plutôt pertinent.

Un peu plus loin Fathi Derder poursuit :

"Puis, devant notre lenteur -toute helvétique- une sénatrice admet alors que, dans le fond, nous "ne pouvons pas" comprendre la question fiscale française. Car la Suisse est, je cite, "en retard en matière de dépenses publiques". La preuve par les crèches. Je n'invente rien."

Voilà l'intervention intégrale de Patricia Schillinger (PS) :

"J'ai une question qui concerne le prélèvement sur le revenu à la source qui s'effectue à Genève et pas à Bâle Ville. Ma commune est confrontée à un afflux massif de frontaliers, ce qui fait exploser le nombre de demandes, en infrastructures sociales notamment. (...) Vous payez certes aussi des impôts en Suisse, mais si la France en prélève davantage c'est notamment parce qu'elle investit énormément dans les infrastructures publiques : crèches, accueil périscolaire, cantines scolaires... La Suisse a accumulé du retard dans se domaine. Par conséquent, une comparaison directe du système fiscal des deux pays doit prendre en compte cet aspect. En outre, de nombreux Suisses gardent une boite aux lettres à Bâle et vivent en résidence secondaire en France, ce qui pose également des problèmes. C'est d'autant plus injuste que la plupart sont des couples avec enfants qui veulent éviter de payer 40 000 francs suisses de scolarité."

La sénatrice ne dit pas que la Suisse est en retard en matière de dépense publique, mais en retard sur les capacités d'accueil en crèche. Contrairement à ce qu'affirme Fathi Derder, la sénatrice ne donne pas de leçon, mais demande simplement à ce que les comparaisons fiscales prennent en compte aussi les différences de niveau de service.

A l'opposé, j'ai été effaré par la remarque de Fathi Derder suite à l'intervention de l'ambassadeur de France en Suisse. M. Duclos intervient dans la réunion : "Mon rôle est celui d'intermédiaire. J'essaie de comprendre le point de vue suisse, mais je demande aux parlementaires suisses présents aujourd'hui d'en faire de même." Puis M. Duclos énumère toutes les concessions faites par la France en particulier dans la négociation sur la convention de double impositions. Ce à quoi Fathi Derder répond : "Votre requête est diplomatiquement honorable, mais notre première mission n'est pas de nous mettre à la place des citoyens français, mais de nos électeurs et de nos contribuables".

Bien sûr que la mission première d'un parlementaire est de défendre les intérêts de ses électeurs et contribuables. Mais l'intérêt des électeurs et contribuables suisses est aussi que la Suisse ait des relations internationales constructives.. pas seulement avec la France mais aussi avec l'Allemagne, l'Italie ou les Etats-Unis. Cela impose parfois de comprendre aussi les préoccupations de ses partenaires. Cela impose de comprendre ce que les 60 millions de Français peuvent éprouver lorsqu'ils voient un pays proposer des conditions fiscales dérogatoires aux meilleurs contribuables français. Des conditions fiscales que la Suisse n'offre pas aux Suisses. Cela suppose d'avoir l'intelligence émotionnelle de comprendre ce que les milliards d'honnêtes contribuables de la planète peuvent éprouver lorsqu'ils constatent que la Suisse, par ses lois et avec ses banques, se fait complice des fraudeurs de tous les pays. Cela suppose de comprendre ce que peuvent éprouver des millions de citoyens lorsqu'ils constatent que la Suisse offre à certains résidents français d'échapper aux droits de successions.

Tous les pays du monde ont besoin de relations extérieures constructives. Cela suppose de faire l'effort de se comprendre.

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