Imposition des successions et la relation franco-suisse ! (vendredi, 26 juillet 2013)

Les débats d’idées permettent souvent de faire émerger des solutions nouvelles. S’ils ne se fondent pas sur des faits, ils deviennent de simples polémiques. C’est malheureusement le cas des interventions sur la convention de double imposition sur les successions entre la France et la Suisse. Les faits sont pourtant incontournables : 

1)    Il s’agirait d’un « diktat » de la France : pourtant la France n’a pas fait usage de son droit souverain de dénoncer unilatéralement la précédente convention. Elle négocie depuis deux ans le nouveau texte. Ou encore, malgré une première signature de la Suisse, elle a accepté d’en amender les termes en tenant compte des remarques des cantons. Le seul « diktat » c’est celui des tenants du statu quo.

2)    Ils dénoncent le fait que la France puisse imposer des contribuables résidant en Suisse : ils oublient que la convention est actuellement utilisée par les cantons suisses pour exonérer du droit français des contribuables résidant en France. Par cette convention, la France reconnait la primauté du droit suisse pour les héritiers résidant en Suisse, mais appliquera son droit tant que les cantons renonceront à imposer les successions.

3)    Bien entendu, ils passent sous silence le fait que la France a accepté un délai de 8 ans avant de considérer une personne comme résidente : une concession unique au monde. On ne sait plus très bien dans quel sens il faudrait en réalité lire l’intervention de M. Neyrinck « aucun pays ne nous a jamais traité de la sorte. »

4)    Ils se trompent lorsqu’ils affirment que les personnes concernées paieraient 45% d’impôts sur les successions en ligne directe. La loi française prévoit des abattements jusqu’à  400 000 euros pour un couple avec deux enfants. Les abattements peuvent s’élever à un million d’euros lorsque la succession est préparée. Les opposants feignent de confondre un taux moyen d’imposition d’environ 5% avec un taux marginal de 45% qui ne s’applique qu’au-delà de 1,8 millions d’euros transmis par parent à chaque enfant !

5)    Ils crient au scandale sous prétexte que cette convention concernerait 155 000 Français résidant en Suisse et 186 000 Helvètes résidant en France. Pourtant, 80% d’entre eux disposent d’un patrimoine de moins de 400 000 euros et ne seront donc pas imposables. Une bonne partie n’aura pas les 8 années de résidence demandée par la Suisse pour se voir appliqué la convention. La convention ne concernera environ que 300 à 700 successions par an.

6)    Ils dénoncent le fait que la nouvelle convention applique le droit du pays où se situent les biens d’une société immobilière. Pourtant, il ne s’agit que de revenir au principe initial de 1953 selon lequel l’immobilier est imposé dans le pays dans lequel ils sont situés.

7)    Ils prétendent que cette convention serait pire que l’absence de convention. Ils oublient que la France s’engage à déduire de l’impôt français le montant déjà réglé aux cantons. Sans convention, il y aurait double imposition. Sans convention, les Suisses installés en France depuis 6 à 8 ans seraient aussi soumis à la fiscalité française sur les successions.

8)    N’ayant pas peur de l’excès, les opposants dénoncent l’acte de décès du fédéralisme, de la souveraineté et de l’état de droit. Leur opposition prouve pourtant le contraire. Mais faut-il répondre à un argument si excessif qu’il en devient insignifiant ?

Héritier potentiel de parents doubles nationaux résidant en Suisse, je serai moi-même, un jour, le plus tard possible, soumis à cette convention de double imposition. Comme tout un chacun, je préférerai me voir appliquer la loi suisse, plus avantageuse, comme elle sera appliquée à mes frères. Pourtant, il me semble juste et raisonnable que me soit appliqué la même loi qu’à mes voisins.

Comment ces ardents défenseurs de la souveraineté nationale peuvent-ils demander à la France de renoncer à appliquer ses lois fiscales à ses résidents fussent-ils Suisses ? Comment ces individus qui dénoncent avec pertinence la mauvaise gestion par la France des deniers publics peuvent-ils dans le même temps lui reprocher d’être moins négligente que par le passé ? Comment ces militants de l’application stricte des lois pénales peuvent-ils considérer que les lois fiscales s’appliquent à la carte ? Comment ces avocats de la neutralité Suisse peuvent-ils s’écarter des faits et dénoncer tout un pays ?

Les excès de langage dans cette affaire laissent planer un doute sur les intentions réelles des intervenants. Pour certains, il s’agit surtout de tenter de déstabiliser une Conseillère fédérale – pourtant la convention a été approuvée à deux reprises par une majorité du Conseil Fédéral. Pour d’autres, il s’agit d’entretenir le mythe d’une imposition française confiscatoire, oubliant le fait que l’imposition des personnes physiques est très comparable de part et d’autre de la frontière (hormis bien sûr, la fiscalité prédatrice offerte aux meilleurs contribuables des pays voisins). Pour d’autres encore il s’agit d’entretenir le mythe d’une Suisse persécutée par le monde entier – sans jamais s’interroger sur l’agressivité des pratiques suisses pour les pays voisins. Pour les autres, la démocratie directe donnerait à la Suisse un supplément de légitimité que n’auraient pas les démocraties indirectes : un opposant va jusqu’à parler de « légitimes préoccupations des cantons » qu’il oppose aux « caprices de la France » (sic).

Cette polémique est inquiétante… non pas pour l’imposition sur les successions qui encore une fois ne concernera que quelques dizaines de familles par an. Peu importe que cette convention soit ratifiée : un refus n’empêchera pas la France d’appliquer son droit souverain sur son territoire ! La souveraineté de la France n'est pas moins respectable que celle de la Suisse.

Cette polémique est surtout inquiétante pour l’avenir des relations de la Suisse avec le reste du monde. Dans un monde interdépendant, comment la démocratie directe Suisse va-t-elle réussir à intégrer dans ses processus de décisions les « légitimes préoccupations » de ses partenaires, voisins, clients et amis ? Pourtant nos régions frontalières ont un besoin vitale de relations constructives. Le moindre projet nécessitera des votes concordants des parlements de part et d’autre de la frontière… mettre de l’huile sur le feu, attiser les désaccords, refuser de comprendre l’autre revient à nuire très gravement aux intérêts du bassin lémanique.

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