De la révolution permanente à la démocratie réelle (mardi, 18 décembre 2018)

A chaque commémoration nationale, en présence d'un aéropage d'officiers en uniforme, nous autres maires faisons l'éloge de révolutionnaires et de résistants. Nous célébrons avec fierté l'appel d'un général à désobéir à un maréchal. Alors que les nations fêtent habituellement des moments d'union telles que des déclarations d'indépendance ou des promulgations de constitutions, nous célébrons des insurrections.


Ces révoltes ont été constitutives des valeurs qui fondent la France. Cependant, leur intégration au cœur de notre mythologie nationale nous conduit à un appel permanent à la révolte et à l'indignation contre l'ordre civil, y compris l'ordre républicain et les règles de la démocratie : le débat ouvert et tolérant, le vote et la majorité.


Corolaire paradoxal de cette mythologie nationale de la révolte, la France, nation pourtant régicide, est l'une des rares démocraties à confier autant de pouvoirs à un seul homme avec des contrepouvoirs aussi faibles. L'élection présidentielle française est suivie en mondovision comme une version remasterisée des sacres du moyen-âge. L'histoire de France est une succession de chaos et de révoltes suivies de l'arrivée d'hommes providentiels. Le quinquennat a accéléré le rythme et à peine atténué les amplitudes de ces secousses populaires.


Beaucoup de pays démocratiques expérimentent aussi des protestations. Peu ont des révoltes régulières comme c'est le cas en France. Dans quelle autre démocratie, les lycéens et les étudiants se révoltent avec une telle régularité de métronome ? Dans une démocratie qui fonctionne, un peuple ne se révolte pas contre lui-même. Chez tous nos voisins, lorsqu'il y a des désaccords politiques profonds, il y a des motions de défiance, des renversements de coalition ou des élections anticipées comme ces derniers jours en Grande Bretagne ou en Belgique. Lors des sommets Européens, les autres pays sont représentés par des chefs de gouvernement qui répondent de leurs actes devant des parlements. Seule la France est représentée par son chef d'état.


Or précisément, le monde change. De plus en plus rapidement. Cela impose aux nations qui veulent assurer leur prospérité et la pérennité de leurs valeurs de s'adapter sans cesse à ces changements. La succession de chaos et d'hommes providentiels affaiblit la France dans un monde qui change.


La gestion du changement exige des prérequis : un diagnostic partagé, une contribution de chacun à l'élaboration des solutions, une implication de chacun dans les décisions. Ces principes sont normalement le fondement de tout processus démocratique.


Notre système majoritaire conduit à ce que des équipes minoritaires contrôlent la majorité dans les instances délibératives. Les institutions concentrent les pouvoirs dans les mains de ces exécutifs nationaux et locaux pourtant sociologiquement minoritaires. De fait, nos institutions s'éloignent de tous les principes de la gestion du changement tout autant que des principes de représentativité populaire.


Alors que les processus démocratiques conduisent à responsabiliser les citoyens, nos institutions conduisent au contraire à infantiliser les corps intermédiaires dans des postures revendicatives stériles. Les élus locaux sont en première ligne de cette double exigence contradictoire et infantile d'une baisse des prélèvements obligatoires et d'une augmentation des dépenses publiques !


Quelqu'un peut-il encore prétendre qu'un homme seul pourrait changer la France ou même une simple commune alors que partout et tout le temps ce sont les nations et les communautés qui ont pris leur destin en main ?
Nos institutions doivent permettre d'organiser le débat démocratique en leur sein plutôt que sur des ronds-points. Elles s'en révèlent aujourd'hui incapables faute de légitimité populaire : comme depuis 60 ans, seulement un quart des Français se reconnaissent dans la majorité parlementaire. La majorité parlementaire elle-même peine à faire entendre la voix du terrain dans le travail législatif de notre régime présidentiel. Nos lois sont pensées et rédigées par des administrations, des cabinets ministériels ou des prestataires compétents, mais hors sol.


La proportionnelle permet une meilleure représentativité des institutions. La comparaison de la proportionnelle intégrale en Suisse avec le système majoritaire Français doit achever de nous convaincre que la proportionnelle c'est la stabilité helvétique et le système majoritaire le chaos des alternances à répétition.


La déconcentration des pouvoirs des exécutifs vers les instances délibératives et législatives doit également nous permettre d'accentuer le caractère démocratique et représentatif de nos institutions.


Notre mythologie de la révolte et nos illusions d'hommes providentiels nous conduit interminablement d'espoirs en désillusions. Une république plus démocratique est indispensable à la responsabilisation des corps intermédiaires et des citoyens. C'est une condition préalable nécessaire à la gestion du changement.

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