jeudi, 25 octobre 2007
Juré à la cour d'assises de Haute Savoie (9) : juger
En jugeant, je me suis aperçu de la manière que j'avais de juger.
Au début du procès le juré fait le serment de veiller à l'égal intérêt de la victime, de l'accusé et de la société. La peine doit être liée aux actes mais aussi à la personnalité de l'accusé.
Pour ma part, il y avait deux éléments essentiels dans ma manière de juger : le premier est une évidence, les faits. La gravité des faits détermine l'ordre de grandeur de la peine. Mais pour moi il y a un élément au moins aussi important : à quel point l'accusé a t'il pris conscience de la gravité des faits, à quel point il est près à faire face à cet aspect de sa personnalité pour le corriger.
Il ne s'agit pas de constater si l'accusé présente des excuses : il le fait presque toujours et il a un tel intérêt à le faire devant ses jurés qu'on ne peut pas prendre cela pour argent comptant. Le système de défense de l'accusé montre à quel point il cherche à s'exonérer des faits ou s'il assume pleinement sa responsabilité. Son attitude durant le procès, ses réactions aux audiences.. sont autant d'indices intangibles mais bien réels qui permettent d'évaluer à quel point l'accusé fait face à ses responsabilités. S'il ne fait pas face à ses responsabilités, il me semble qu'il est du devoir du juré de l'y contraindre d'autant plus par le quantum de la peine. A l'opposé, ma nature me rend plus clément pour les accusés qui assument leurs responsabilités et prennent conscience de la gravité de leurs actes.
Ces indices là ne sont absolument pas retranscris dans les comptes rendus des journaux. Ils ont été pour moi essentiels dans la détermination de la peine.
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mercredi, 24 octobre 2007
Juré à la cour d'assises de Haute Savoie (8) : le criminel
Dans les 4 affaires que j'ai été amené à juger, il y a un point commun. Le criminel et la victime se connaissent. Ils sont familiers l'un de l'autre.
Les habitudes héritées des temps des cavernes nous conduisent à avoir des réflexes intuitifs qui nous incitent à nous méfier de gens que l'on ne connait pas. Réflexe sage : il est plus prudent de connaitre avant de faire confiance. Ces réflexes sont tellement ancrés dans notre manière d'être que cela en devient une seconde nature presque inconsciente.
Cette manière de procéder avait beaucoup de sens dans des temps anciens des cavernes, du moyen âge ou tout simplement il y a quelques décennies. Ce comportement a encore un peu de raison d'être. Mais pour autant, la méfiance généralisée de ceux qu'on ne connait pas se justifie de moins en moins dans un monde civilisé et policé. Dans plus de la moitié des cas et dans toutes les affaires que j'ai contribué à juger, les criminels faisaient parti de l'entourage immédiat de la victime.
On se sent sans doute plus en sécurité chez soi que dans des quartiers pudiquement dits difficiles, pourtant la froide statistique nous enseigne que c'est plutôt à la maison que les crimes se commettent. Voilà une réalité simple pourtant bien éloignée des discours xénophobes des populistes récemment élus tant en France qu'en Suisse.
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mardi, 23 octobre 2007
Juré à la cour d'assises de Haute Savoie (7) : l'écoute
Une autre des choses qui m'a frappé lors de ces affaires aux assises c'est le peu d'écoute de l'entourage et de la société. Difficile d'expliquer ce point sans être plus spécifique sur les affaires, et comme je ne souhaite pas parler des affaires jugées durant cette session d'assises, je prendrai l'exemple de l'affaire des époux Courjault. Les époux Courjault c'est ce fameux couple d'expatriés en Corée du Sud accusé d'avoir congelé leurs bébés.
Le fait que l'entourage de Mme Courjault n'ai rien remarqué de sa grossesse est en soi un phénomène médical et physique étonnant. Mais au delà de l'absence de signes physiques de la grossesse, c'est un phénomène humain incroyable. Lorsque l'entourage est réellement à l'écoute, lorsque nous sommes attentifs et respectueux les uns des autres il devient non seulement inutile mais aussi difficile de se cacher des faits aussi importants qu'une grossesse pendant un neuf longs mois. Comment dans notre société pouvons nous faire aussi peu attention les uns et aux autres pour que des grossesses puissent être dissimulées au sein même des familles ?
Dans un excellente édito du Monde quelques jours après l'extradition des époux Courjault un journaliste relevait que l'ensemble de la société française n'avait pas voulu voir cette grossesse. Lorsque l'enquête a commencé, les médias et l'opinion publique ont mis ces accusations sur le compte des erreurs grossières de la police sud coréenne. Malgré les preuves et les élements à charge, la société française refusait d'admettre l'évidence de la grossesse de Mme Courjault et des infanticides. Nous refusions d'écouter.
On peut aussi se référer aux nombreux décès de personnes âgées durant la canicule pour trouver d'autres exemples de ce manque d'écoute au sein même des familles.
Ce manque d'écoute est généralisé dans la société : dans les familles, en politique, dans les entreprises également. Dans notre société de communication, il est paradoxal de constater cette déficience de l'écoute.. jusque dans l'intimité des foyers. Notre société ne pourra avancer à nouveau que si nous réapprenons à nous écouter et à faire attention les uns aux autres.
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jeudi, 18 octobre 2007
Juré à la cour d'assises de Haute Savoie (4) : le karma
Le karma ? plutôt étonnant de parler de karma sur un blog politique à St Julien en Genevois au sujet d'une session de la cour d'assises de Haute Savoie. Mais après ce que j'ai lus des propos d'un élu de Gaillard sur les médecines douces dans la presse locale, le karma en deviendrait presque un sujet institutionnel !
Durant mes voyages en Asie j'ai beaucoup lu sur la philosophie et la pratique bouddhiste. J'ai trouvé beaucoup de principes intéressants.. mais il y avait quelques concepts auxquels j'étais complétement réfractaire. En particulier celui de karma. Le karma selon wikipedia est le "cycle des causes et conséquences lié à l'existence des êtres sensibles". En résumé c'est un principe selon lequel les êtres sensibles paient un jour ou l'autre les conséquences de leurs actes. J'ai toujours été assez refractaire à ce principe car j'ai souvent observé pas mal d'injustice.
En cour d'assises, on constate à quel point les méfaits trouvent souvent leurs sources dans des malheurs antérieurs qui parfois datent de plus d'un demi siècle : un frère ainé mort né, une mère assassinée, avoir été le témoin de massacres. Ces malheurs antérieurs ne sont pas anodins et influencent certainement le reste d'une vie. Ils sont parfois de manière directe ou indirecte la cause de l'affaire jugée aux assises.
Mais pourtant ces vies cabossées ne sont pas déterminées pour autant. Les victimes aussi ont parfois aussi subi des malheurs graves. Les êtres humains sont presques toujours à des degrés divers des cabossés de la vie. Les longs fleuves tranquilles sont plutôt des exceptions que des normes. Pourtant tout le monde ne se retrouve pas en cour d'assises.
En Asie, le "karma" n'est pas seulement lié aux actions passées mais aussi aux intentions et à l'état d'esprit. On peut changer son karma en maitrisant ses intentions et ses actes présents selon les bouddhistes. Mon expérience de juré de cour d'assises m'a permis de remarquer qu'effectivement plus que les épreuves personnelles vécues par les uns et les autres c'est la manière que l'on a d'y réagir, de les accepter.. et de les dépasser qui détermine la suite. Quelques soient les expériences passées, la maitrise des intentions distingue particulièrement ceux qui pourront se retrouver dans le box des accusés de ceux qui ne s'y retrouveront pas.
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mercredi, 17 octobre 2007
Juré à la cour d'assise de Haute Savoie (3) : le déni
Dans les témoignages tant des accusés que des proches, j'ai été frappé par l'incapacité à verbaliser les faits : "je n'arrive toujours pas à croire qu'elle ait fait ça!" dit l'un. Un accusé détaille avec force et vigueur les mois et semaines qui précèdent avant d'aborder les faits par un pudique "Ca s'est fait le week end suivant." ou encore "dans la voiture ça a discuté de ça"
Le participe passé, le "on" générique et le "ça" sont abondamment utilisés. Parfois pour minimiser les responsabilités des protagonistes, mais aussi très souvent pour ne pas nommer l'inacceptable.
De retour à Saint-Julien-en-Genevois, je remarque l'emploi de ces mêmes pronoms dans les conversations. J'observe aussi que ces pronoms sont utilisés pour désigner ce que la personne qui parle n'accepte pas ou ne souhaite pas. Pourtant, comment avancer dans la vie et progresser si on se révèle incapable d'accepter le réel. J'ai aussi pu mesurer pendant les assises le poids parfois destructeur des tabous et des secrets.
Depuis ces quelques jours aux assises, lorsque je relève ces pronoms dans la conversation je demande à mon interlocuteur : tu parles de quoi lorsque tu dis "ça".
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